Outre l’enjeu des politiques RH que de respecter la vie personnelle et familiale du salarié et contribuer in fine à son bien être au sein de l’entreprise, cet enjeu a pris aussi ces dernières années un caractère juridique fort.
Il est acquis depuis plusieurs années, que le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit et inversement (y compris lorsque les horaires ne sont pas contractualisés), constitue une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié, faisant exception au principe selon lequel un changement d’horaires relève du pouvoir de direction de l’employeur et s’impose au salarié. En effet, une telle modification constitue, selon la jurisprudence, un bouleversement des conditions de travail tel, qu’il requiert l’accord du salarié. Le licenciement disciplinaire du salarié n’est donc pas envisageable en cas de refus de sa part.
Dans une décision récente de la Cour de cassation du 29 mai 2024 (Cass. Soc., 29 mai 2024, n° 22-21.814 F-B), ce principe est confirmé, cependant la Cour de cassation se place sur le terrain de l’atteinte excessive du droit au salarié au respect de sa vie personnelle et familiale, la modification imposée par l’employeur étant incompatible, en l’espèce, avec les obligations du père d’un enfant handicapé.
Face au refus du salarié, l’employeur aurait donc dû soit renoncer à cette modification, et maintenir le salarié à son poste, soit lui proposer un autre poste en horaires nocturnes, soit le licencier pour un motif autre que disciplinaire, à condition de pouvoir justifier d’un motif réel et sérieux et c’est souvent là toute la difficulté.
Rappelons que le changement d’horaires constitue également une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié dans les cas suivants : horaires de travail contractualisés, bouleversement dans l’organisation du temps de travail, atteinte excessive au droit au repos, obstacle à l’exercice d’un mandat électif.
Dès lors, en cas de réorganisation du temps de travail d’un salarié, l’employeur doit nécessairement s’interroger sur :
la pertinence d’une telle réorganisation,
son impact sur les salariés concernés,
l’existence de clause contractuelle relative aux horaires,
l’atteinte que pourrait porter cette réorganisation aux droits fondamentaux des salariés (tel que le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au repos…),
les solutions alternatives moins attentatoires aux droits des salariés,
les options envisageables en cas de refus du salarié
Et pour l’ensemble des questionnements susvisés, l’employeur se doit d’être en capacité de prouver sa loyauté et sa bonne foi quant à la décision prise, notamment dans une situation familiale ou personnelle contraignante pour un salarié.
P.S : En cas de réorganisation du temps de travail des salariés indispensable au fonctionnement de l’entreprise ou nécessaire pour préserver l’emploi, et si l’entreprise n’a pas d’autres alternatives, il peut être opportun de mettre en place cette réorganisation dans le cadre d’un accord de performance collective par exemple, permettant ainsi de procéder au licenciement des salariés refusant la modification de leur contrat de travail découlant de cet accord, pour un motif non disciplinaire.